Hypnose & amor fati : je t'aime vous aussi

Imaginez.

Vous vous baladez le long d’un chemin.
Vous êtes plutôt bien. En tout cas, vous marchez. Et vous marchez droit.

Sur votre route se profile une silhouette floue.
Vous ne savez pas comment ni pourquoi mais vous avez une drôle de sensation désagréable dans le corps ( probablement vers le ventre. )
Quelque chose d’étrange. Une sensation d’étrangeté, avec un léger parfum de connu.

il faut d’abord apprendre à entendre en général un thème ou un motif, il faut le percevoir, le distinguer, l’isoler et le limiter en une vie propre.


Vous vous approchez.
Peut-être par curiosité.
Peut-être parce que quelqu’un vous accompagne et vous prend doucement par le coude pour vous emmener voir de plus près.

De plus près, vous percez les contours de l’étrangeté.
C’est un être vivant, comme vous.
Il est nouveau, différent sans vraiment l’être - un léger parfum de connu.

Il n’est pas ce que vous avez l’habitude de voir ni d’apprécier.
Il n’est pas à votre goût, vous vous le dîtes franchement : “il ne me plait pas du tout”.

puis il faut un effort et de la bonne volonté pour le supporter, malgré son étrangeté, pour exercer de la patience à l’égard de son aspect et de son expression, de la charité pour son étrangeté.


Votre regard s’est accommodé comme il le ferait dans la pénombre.
Vous êtes resté(e). Par curiosité, par nécessité, par le bras qui vous a emmené là et ne vous lâche pas.
Alors vous regardez encore.
Vos sens sont plus vifs, moins distraits par les titillements constants de l’ordinaire.
Alors vous regardez autrement.
Vos jugements sont plus déliés, moins affûtés par les rabâchements des pensées circulaires de l’habituel.

enfin arrive le moment où nous nous sommes habitués à lui, où nous l’attendons, où nous pressentons qu’il nous manquerait s’ils faisait défaut.



Le temps et l’espace particuliers ont produit leur effet.
En laissant mijoter le temps et en dégustant la texture de l’espace partagé, a émergé une nouvelle présence, la vôtre, celle de cet étranger qui ne l’est plus ( et peut-être le bras n’a plus besoin de vous tenir aussi fermement ).
Vous vous surprenez à apprécier ce nouveau goût, là devant vous.
Vous vous surprenez, vous.

et maintenant il continue à exercer sa contrainte et son charme et ne cesse point que nous n’en soyons devenus les amants humbles et ravis, qui ne veulent rien de mieux dans le monde que ce motif et encore ce motif.


Vous y avez décidément pris goût …
Une nouvelle saveur qui vous change les papilles autant qu’elle vous dénoue le ventre et vous réchauffe le coeur.

Mais il n’en est pas ainsi seulement de la musique : c’est exactement de la même façon que nous appris à aimer les choses que nous aimons.


En y pensant rien qu’un peu, c’est vrai que vous n’avez pas franchement été transporté par votre première gorgée d’huître ou votre première fourchette de bière.
Ou votre premier carré de poisson avec arrête ou votre premier filet de chocolat noir.
Ou votre premier plateau de foie de veau ou votre première tranche de Saint-Nectaire.
Ou votre premier pic de tofu mariné aux anchois vegan lactofermentés ou votre première bouchée d’olive verte.
Ou … ( toute autre inclusion alimentaire qui vous ira, à vous et/ou à votre étranger).

Finalement, nous sommes toujours récompensés de notre bonne volonté, de notre patience, de notre douceur à l’égard de l’étranger lorsque pour nous l’étranger écarte lentement son voile et se présente comme une nouvelle, indicible beauté.


En y pensant rien que beaucoup, si vous ne vous étiez pas approchés, vous n’auriez pas pu deviné.
Et l’étranger ne se serait pas dévoilé.
Et la beauté partagée ne se serait pas invitée au menu.
Et vous, mine de rien, vous n’auriez pas fait tout cet autre chemin.

De même celui qui s’aime soi-même aura appris à s’aimer sur cette voie-là : il n’y en a pas d’autre. L’amour aussi, il faut l’apprendre.
Livre quatrième / Le Gai Savoir ( 1882 ) / Friedrich Nietzsche



Se rapprocher avec égards de l’étranger en nous.
Prendre le temps de l’observer.
De l’écouter.
De l’accepter.
D’échanger.
Alors, le voile peut se lever sur de la nouveauté.

Et ça, c’est plus qu’une belle idée.
( Et pas forcément celle que vous croyiez... )